The Trail Yonne, jusqu’au bout de la nuit, Guilaume VIMENEY
Team Outdoor Paris – SALOMON
Samedi 4 mai 2013, 15h, 110 kils
Jaune, voilà la couleur qui symbolisera le mieux cet ultra. Jaune comme le soleil qui nous accompagnera sans discontinué tout l’après-midi, jaune comme les champs de colza que nous traverserons de long en large durant 110km, jaune comme le balisage qui nous guidera sans fausse note jusqu’à la délivrance, enfin jaune comme la petite étoile qui veillera sur moi pendant près de 10 heures.
Au départ, je me suis fixé pour objectif de descendre sous les 10 heures. Estimer un chrono sur un trail s’avère forcément délicat, en raison de multiples facteurs aléatoires (état des sentiers, dénivelé, conditions météorologiques…). Toutefois, j’ai besoin de challenges pour avancer, de me fixer des buts à atteindre. Au vu de la distance (110km) et du dénivelé (2800m+), mon petit défi me paraît motivant et apte à combler la vacuité de ces successions de foulées ininterrompues et monotones, à donner du sens à ces inexorables flux de pensées qui me traversent l’esprit.
Armé des Sense Ultra et prêt à dégainer, rien ne pourra m’arrêter !! En coulisses, je trépigne d’impatience. J’attends que le rideau se lève enfin, pour qu’on puisse s’exprimer au grand jour.
A 15h, Michel Crémades, l’enfant du pays, donne majestueusement le départ de la course, sur un ton très personnel : « Moteur. Ca tourne. Action !! » On ne pouvait rêver de plus belle entrée en scène. Acteur de notre course, c’est ce qu’il faudra demeurer, y compris dans les temps faibles, où la lucidité s’évade parfois si subrepticement, annihilant au passage tous nos espoirs.
Crescendo, voilà la voie à suivre aujourd’hui. Calme au départ, je ne m’affole pas quand je vois des tas de coureurs me dépasser. Gérer son rythme et réguler son allure, en étant entouré de concurrents partant pour des distances bien inférieures, semblent délicat en début de course. Je dois rester le plus relâché, le plus « cool », possible. Je profite d’être accompagné, pour discuter, le temps passant ainsi beaucoup plus vite. Les difficultés ne tardent de toute façon pas à égayer notre parcours. Dès les premières minutes, nous gravissons une grosse butte. Les mains sur les cuisses (…ou presque, la photo ci-dessous me prenant en défaut), je préserve mes forces et me refuse à courir sur ce premier obstacle, qui va en appeler beaucoup d’autres.
Ce samedi, le soleil tape fort. Avant le départ, les températures avoisinaient les 28°. Munis de gants, bonnet et d’une veste chaude (matériel obligatoire…), je suis paré pour gravir des cols à quelques 300m d’altitude. Je délaisse en revanche piolet et pitons, en espérant que cela ne me portera pas préjudice au niveau de la Chapelle de Saint Julien du Sault, point culminant de notre périple.
Plus sérieusement, à ce moment de la course, je commets une erreur de novice, en négligeant la chaleur certes relative, mais qui tranche avec la fraicheur des précédents mois. Parti sans casquette ni visière, je m’hydrate également trop peu sur le premier marathon. Après trois heures de course, je me sens vacillant et déjà éreinté. Néanmoins, je sais que je n’ai pas encore produit mon effort, et que la forme ne va point tarder à revenir. Il reste une multitude de vallons à parcourir. Les montées bien réparties tout le long du circuit sont vraiment raides. Autre difficulté, les chemins bordant les champs de colza, qui s’avèrent épuisants par l’instabilité des appuis que nous prenons pour les traverser.
Après 4 heures de course, c’est le moment où les organismes commencent à être harassés. En ce qui me concerne, c’est le moment, où je commence à avoir de bonnes jambes. J’ai perdu pas mal de temps sur la première partie du parcours, mais rien n’est perdu pour autant.
Je passe à Villeneuve sur Yonne avec un léger retard sur mes prévisions. A la mi-course, le chrono affiche 5h02. Il faudra donc courir en negative split pour atteindre l’objectif du jour… de la nuit plutôt, puisque le crépuscule pointe. De mon côté, la forme paraît à son zénith. Je me sens frais, pour affronter une boucle de 27km, réputée technique et difficile.
Mais, à une nouvelle reprise, la malédiction s’abat encore sur mon chemin. Une partie du parcours a été victime d’un débalisage. Les piquets, posés de manière inattendue et inédite au beau milieu du chemin, ne mènent nulle part. Des petits malins sont venus s’amuser par là… Après quelques minutes à errer dans les bois, j’aperçois enfin le bon sentier. Je replace en toute hâte les piquets pour les autres concurrents et repars à l’assaut des 10 heures. Cet évènement de course ne me touche guère. En pleine forme, il m’en faudra davantage pour me déstabiliser.
Un peu plus tard, la pénombre gagnant du terrain, je sors ma Nao. Il reste quelques kilomètres avant de repasser à Villeneuve et partir sur la fin du circuit. Quel réconfort d’être aussi bien éclairé par une frontale !! Sans inquiétude, je peux affronter l’obscurité et aller au bout de la nuit. Au ravitaillement, je fais comprendre à mes amis que je me sens vraiment bien : « Je suis chaud bouillant !! » Après un arrêt express au stand, je repars sur un bon tempo. Mes top-assistants ne comprennent pas encore mon empressement.
Comme des acteurs, quand les afflictions de la chair deviennent trop douloureuses pour notre âme, nous revêtons un masque. Pour ma part, j’endosse un rôle de guerrier, prêt à aller au-devant de tous les dangers. Avec moi désormais, le Fighting Spirit ne me lâchera plus.
A Marsanguy, 16km me séparent de l’arrivée à Sens. Les 10 heures sont encore jouables à condition, au minima, de maintenir la cadence. Malgré la rudesse des vallons, je demeure optimiste.
Parvenu à Gron, il ne reste plus que 7km. J’ai 34 minutes et pas une seconde de plus devant moi pour boucler l’affaire. Ma réussite dépendra du dénivelé restant sur le parcours. Je passe devant le ravitaillement sans m’arrêter et file vers Sens. Malheureusement, la fin de l’Ultra n’est pas de tout repos. Je n’ai plus le choix et suis contraint de courir dans les collines. Les jambes répondent parfaitement. Les derniers kilomètres vont être palpitants à vivre.
A 4km de l’arrivée, je jette un œil sur le chrono. Je suis en avance et devrais remplir ma mission. Les vallons sont loin derrière nous. Nous sommes désormais revenus à Sens et dévalons sur les trottoirs, à moins que… une bifurcation nous invite à arpenter une dernière difficulté de taille, une côte de 400 mètres. Décidément, le suspense va durer jusqu’au bout. La pente est bien trop raide pour courir. Je n’ai pas d’autre choix que d’avancer au ralenti. Grrrr !! Je lâche les chevaux dans la descente qui suit et déboule vers le centre-ville. Viiitttteeee !!!
Pendant ce temps, Valessa m’attend sous l’arche d’arrivée, scrutant inlassablement le temps qui s’égrène semble-t-il de plus en plus vite. Encore quelques minutes, va-t-il y arriver ?
Sur le point de clôturer cet ultra et secoué par le dernier obstacle, j’aperçois dans une rue sombre, mon pote Arnaud venu à ma rencontre. Ayant bien compris mon objectif, il m’annonce que l’arrivée se situe à 5 minutes à 15km/h. Parfait !! Je regarde mon chrono, qui affiche 9h55h12sec… Mmmeee, moins parfait. Je vais devoir m’employer sur cette dernière portion bitumée. Arnaud ouvre la voie devant, je n’ai plus qu’à me concentrer sur ma foulée. Il faut tout donner. A 400m de la ligne, je lance le sprint pour finir avec une infime avance, en 9h 59min 26sec. Je n’en reviens toujours pas de relever un défi sur un 110 km sur une dernière accélération. Sans l’aide d’Arnaud, je n’y serai pas arrivé. Il est au top !!!
La ligne franchie, je réalise à peine que la course contre la montre vient de s’achever. Je me retrouve devant un parterre de photographes et brandit spontanément ma Sense Ultra, qui m’a porté aussi bien sur les sentiers boueux, sur les chemins en devers, que sur les routes accidentées de l’Yonne. Waouuuu !! Quel finish !! Jamais, je n’aurais cru achever un ultra sur un tel rythme.
Fidèle à mon plan de course, j’ai augmenté graduellement l’intensité de mon effort pour finir sous les 10 heures de course. Petit bémol, avant de reprendre l’entraînement, il faudra me défaire d’une douleur aigue et persistante apparue sur la face externe de la plante du pied gauche. A 10 jours des Gendarmes et des Voleurs, ce n’est pas de bon augure. En deux ans, c’est la première fois que je ressens une douleur tendineuse, l’inquiétude est patente. Les prochains rendez-vous de la saison sont, pour le moment, entre parenthèses, le temps de soigner cette vilaine blessure.
The Trail a tout d’une course bien rôdée. Je tiens à souligner l’excellence d’un balisage, qui a été déposé avec une bonne intelligence. Des piquets se sont substitués aux traditionnelles rubalises, cela rendant bien plus aisé leurs visibilités sur le parcours. En effet, quand on court, chacun d’entre nous, avons les yeux rivés sur les aspérités du sol et la rugosité des sentiers, afin de prévenir toute chute. De fait, avoir un œil sur le balisage devient un exercice souvent fatiguant, parfois dangereux. A contrario, les piquets « cloués » au sol permettent de s’orienter avec beaucoup de facilités. On se dirige ainsi, sans inspecter au peigne fin chaque branche d’arbre. Par ailleurs, les animations sur les villages étapes ont été très distrayantes pour les accompagnateurs. Les bénévoles ont été d’une gentillesse extraordinaire. Je repense encore à Nelly, bénévole postée à Saint Julien du Sault, si inquiète de me voir partir sur un si long parcours. Merci à tous ces participants !!
La beauté d’un trail vient également de l’émulation de toute une région autour de l’évènement. Je me souviendrais toujours de ma descente en ascenseur du 1er étage de la Tour Eiffel après l’EcoTrail de Paris (2010). Les visiteurs à nos côtés râlaient, parce que nous étions en short et trempés jusqu’aux os. L’engagement des régionaux autour d’une course participe grandement à forger sa réputation. Les organisateurs de The Trail l’ont bien compris. A chaque village traversé, nous étions supportés, encouragés, applaudis. Ces marques d’attention sont importantes pour les coureurs. Sur l’EcoTrail de Paris, les badauds ne se donnent pas la peine de laisser passer les coureurs dans les parcs et encore moins de les soutenir. N’ayant jamais eu vent de l’évènement, ils sont juste interloqués par ces fous furieux qui déambulent en collants et harnachés d’improbables sacs. Qui ne le serait pas à leur place ??
Outre les paysages d’une beauté inouïe, le charme de la Diagonale des Fous tient à l’engouement des réunionnais autour de la course. Peu d’habitants de l’Ile méconnaissent la date du GRR. Les médias locaux sont à l’unisson pour retransmettre des informations sur l’évènement, qui devient ainsi une véritable fête, et pas seulement pour les participants. Au plus grand plaisir des coureurs, The Trail s’inscrit dans cette voie. Avec beaucoup de joies, nous y reviendrons l’année prochaine. J’en connais d’ailleurs une en particulier, qui a des fourmis dans les jambes et aurait rêvée d’épingler un dossard ce week-end.
Mes Top-assistants ont été parfaits, une nouvelle fois. Un grand merci à Arnaud et Valessa !! Enfin, je remercie cette petite étoile qui brille dans le ciel depuis 6 ans aujourd’hui, qui m’a suivie et donnée des ailes dans sa belle région.
Guillaume