Une course pas comme les autres : marathon de Paris, Benoit GANDELOT
Mécénat Chirurgie Cardiaque – Team Outdoor Paris
Dimanche 7 avril 2013, Paris
Depuis que j’ai commencé à courir, il y 8 ans, une majorité des courses auxquelles j’ai participé ne m’aura pas laissé un impérissable souvenir, même si je pense pouvoir me remémorer la plupart d’entre elles. D’autres, heureusement très peu nombreuses, furent de vrais cauchemars et leur souvenir me hante souvent, l’espace d’un instant, avant chaque départ. Certaines enfin, presque aussi rares que les précédentes, resteront je crois à jamais gravées dans un petit coin de ma tête. Le marathon de Paris que j’ai couru cette année, appartient à cette dernière catégorie et j’espère que le plaisir que j’y ai éprouvé transparaîtra dans le petit récit qui va suivre.
Réveil aux aurores ce dimanche matin, 5h45, l’heure des marathoniens. Départ prévu à 8h45 : le temps de déjeuner (copieusement), d’y aller, de s’échauffer … il faut bien compter trois heures ! Mes affaires sont prêtes dans mon sac. Je l’ai vérifié au moins trois fois la veille, je le revérifie au moins trois fois ce matin. 6h25, je démarre la voiture. L’aube pointe le bout de son nez, l’air est frais, il n’y a pas de vent et le ciel est dégagé : une très belle journée s’annonce ! 7h10, garé à Issy les Moulineaux je retrouve mon pote Momo avec qui je dois courir ce matin. Momo est un vétéran avec des jambes de 20 ans, il y a 3 semaines il gagnait, à moitié malade et dans la fournaise, le marathon de Kourou en Guyane.
Inscrit de longue date à Paris il m’a gentiment proposé de m’accompagner sur l’épreuve afin de m’aider à réaliser mon objectif. Le niveau de Momo se situe autour de 2h24, mon but (ambitieux) est de réaliser 2h35. Pour lui ce devrait être une promenade, pour moi … on verra ! Nous allons tous les deux porter sur la course les couleurs de l’association Mécénat Chirurgie Cardiaque (MCC) pour laquelle nous avons chacun engagé une collecte afin de permettre à un petit garçon africain atteint d’un grave problème cardiaque, de pouvoir venir se faire opérer en France. Cela fait plusieurs années que j’envisageais de courir « solidaire » et lorsque Momo m’a parlé d’une de ces amies, Vincianne, qui travaille pour cette association et qui a mis en place une opération autours du marathon de Paris, j’ai tout de suite été intéressé …
7h45, nous sortons du métro et nous arrivons sur les Champs Elysées. L’avenue est encore bien vide mais sur les trottoirs ça s’anime : les organisateurs règlent les derniers détails et les coureurs déboulent des rues adjacentes. Je m’apprête à aller poser mes affaires aux vestiaires lorsque Momo, me propose d’aller me changer avec lui dans le car des élites, stationné en contrebas à 100m du départ. C’est vraiment marrant de se retrouver avec quelques stars kenyanes, je suis dans me petits souliers ! Aujourd’hui j’ai décidé de courir avec mes Asics DS Trainer, valeurs sures avec lesquelles j’ai déjà bouclé deux marathons (Nice-Cannes et Lausanne). Il fait frais mais je me contente du maillot MCC et d’un short de course Brooks. Une paire de chaussette Kalenji ultra basique et ma fidèle Garmin Forerunner 405 complètent ma panoplie. Je ne prends ni gants ni bonnets, et côté ravitaillement, je prends deux gels Punch Power mais pas d’eau, il y en aura suffisamment sur le parcours. Une fois habillé, place à l’échauffement, à 30 minutes du départ il est temps de lancer la machine.
Je ne devrais pas m’en vanter mais la tentation était vraiment trop grande … Après avoir tourné tranquillement pendant une vingtaine de minutes je profite d’un petit relâchement dans un cordon de sécurité pour me faufiler discrètement au milieu d’un groupe de coureurs élites et aller me placer avec eux aux premiers rang, à moins d’un mètre de la ligne de départ. A ma droite, le maire de Paris, sur son estrade, cramponne le pistolet libérateur et face à moi s’étendent les Champs Elysées qui se vident peu à peu pour laisser la place aux coureurs. Momo est à côté de moi, il a l’air tout tranquille. Je salue d’autres connaissances qui sont aussi dans le coin : Geoffrey par exemple, qui me paraît un peu tendu, ou encore Olivier, mon entraineur à l’USMM, super concentré. A cet instant je pense à la course, bien sur, mais également à toutes ces semaines d’entrainement, à tous ces kilomètres avalés, à la boue, aux montées et aux descentes répétées maintes fois, à ces séances terribles, réussies ou ratées qu’il a fallu encaisser, à ce froid polaire, à toute cette pluie et ce vent glacial qui m’ont accompagnés pendant ces dernières semaines. Je savoure d’autant plus le soleil de ce matin et la (relative) douceur qui s’annonce : c’est presque une récompense pour tout ce que j’ai enduré. Les athlètes handisports s’élancent, suivi par la joyeuse équipe de « peoples » de Mécénat Chirurgie Cardiaque, sous les applaudissements de 40 000 coureurs. 8h44, enfin, le speaker égraine les secondes : 5, 4, 3, 2, 1 … c’est parti pour 42 kilomètres (et des poussières) !
Les Kenyans partent à fond (seul mon pote Seb, dont je reparlerai plus loin, est capable de départ aussi foudroyants). En dix secondes, j’ai l’impression d’avoir pris cinquante mètres ! Les premiers hectos sont légèrement descendant et, dans l’euphorie, il très facile de se laisser emporter ! Sagement, Momo, qui a déjà pris les devants, m’indique de me calmer. Je boucle le premier kilomètre en 3’33. Bien trop rapide, je ralentie pour essayer de ma caler sur mon allure cible : 3’40 au kilomètre. Les merveilles de Paris commencent à défiler sous mes yeux : la place de la Concorde et l’Obélisque, la rue et les jardins de Rivoli, le Louvre et la place de la Bastille ! Beaucoup de monde nous encourage sur les trottoirs et je ne vois même pas ma maman venue m’applaudir parmi toute cette foule. Petite ombre au tableau, un adducteur commence à me tirer à intervalles réguliers, mais il est trop tôt pour faire attention et ralentir, je continue sur ce tempo, ça passe ou ça casse …
Nous passons le 5ème en 18’06, un peu en avance, et continuons notre route vers le bois de Vincennes. Ca parait incroyable mais j’ai l’impression que Momo est connu de tout Paris, il ne se passe pas deux minutes sans que quelqu’un le salut amicalement depuis un trottoir, un vélib ou une fenêtre ! A la porte Dorée, nous ne passons pas loin du magasin « Team Outdoor » repère bien connu des coureurs de l’est parisien qui m’ont honoré en m’accueillant dans leur « team » en début d’année. J’ai une pensée pour eux : aujourd’hui ils se déplaçaient dans le sud de Paris, sur les trais de Josas et en Provence, pour le trail de la Montagne Sainte-Victoire. Je ne doute pas une seconde qu’ils seront encore une fois au top (ce qui, après coup, a bien été le cas).
Au bout de 36’09 nous passons la barrière des 10 kilomètres, toujours en avance. La ballade continue dans les allées du Bois de Vincennes et je me sens toujours super bien dans le rythme, mes jambes répondent bien présentes. Seul mon adducteur continue de ma taquiner mais j’essaye de ne pas y penser, pour le moment ça tient. Après quelques longues lignes droites nous rejoignons à nouveau la capitale, par la porte de Charenton, où nous attend à nouveau une foule qui nous encourage comme jamais ! Nos maillots floqués « Coureurs du Cœur » font un carton, j’espère que ça aura contribué à faire connaître un peu plus MCC. Peu avant le deuxième passage par la place de la Bastille, nous passons la mi-course en 1h16’54, en avance de 34 secondes et sur les bases de 2h34. Ca laisse de la marge mais je sais que j’en aurai besoin : la deuxième partie du marathon de Paris peut être redoutable.
Le temps d’adresser un petit sourie à Catherine, ma sœur, venue m’encourager, et nous plongeons depuis le boulevard Henri IV vers les quais de Seine. C’est un passage délicat, à négocier avec prudence : grandes lignes droites, tunnel anxiogène et succession de montées et de descentes bien casse-pattes au niveau des ponts. Ca fait maintenant longtemps que Momo et moi courrons seul, démarqués de tout groupe et heureusement qu’il est là pour me donner le rythme car j’aurais vite fait de réduire la cadence s’en m’en rendre compte. Aux petits soins avec moi, il me prend même les bouteilles d’eau aux ravitaillements !
Vers le 25ème kilomètre, j’aperçois une silhouette qui me semble familière au bord de la route ; c’est Olivier et il est à l’arrêt. Au moment où nous le dépassons il a juste le temps de me dire qu’une douleur au mollet l’empêche de continuer. Il n’ pas pu courir le marathon de New York cet automne pour les raisons que l’on connait et voilà qu’après une deuxième préparation, tout aussi rondement menée que la première, il est contraint à l’abandon. Je trouve ça vraiment injuste mais c’est la vie, ça m’arrivera surement un jour à moi aussi. Je suis persuadé qu’il rebondira, comme tous les grands coureurs mais sur le coup je suis vraiment dégouté pour lui. Même dans ce moment difficile il m’encourage et me dit de ne rien lâcher ! Kilomètre 30, la Tour Eiffel se dresse sur ma gauche, de l’autre côté de la Seine. Il reste douze kilomètre et c’est maintenant que la course commence, qu’il va falloir serrer les dents ! Petit bilan : j’ai perdu du temps sur les quais, je suis de nouveau sur les bases de 2h35, mes jambes sont un peu lourdes mais ça va et surtout ma gêne à l’adducteur semble avoir disparu … Un petit gel, un peu d’eau, on se concentre et on remonte vers le Bois de Boulogne !
Nous croisons de plus en plus de têtes connues, venues nous encourager sur la fin du parcours : je vois entres autres Pascal, Raph, Nico, Cosi (mon autre entraineur) et surement d’autres que je n’ai pas forcément reconnu (excusez moi les gars). Parallèlement deux autres potes, Ahmed, un infatigable crossman et Seb un indécrottable pistard et routard de talent en devenir (tous les deux vétérans) nous rejoignent pour nous accompagner sur les derniers kilomètres. J’ai l’impression d’être une star de la course escorté par ses lièvres ! C’est énorme. Les kilomètres passent et je ralentie de plus en plus : de 16km/h je suis maintenant tout juste au dessus de 15 … il est temps que ça se termine ! Les jambes sont lourdes et la moindre aspérité de la route est pénible, un passage pavé de deux cents mètres entre les deux lacs met d’ailleurs mes genoux à rude épreuve. En même temps je reste serein : pour le moment aucun signe avant coureur de crampe.
Les sorties longues dominicales de 30 bornes que j’enchaîne depuis six mois payent ! A quelques encablures de l’arrivée, Momo est sollicité pour accompagner Carmen, la première française de la course qui revient doucement derrière moi. Il me jette un regard interrogateur et je lui donne mon approbation, il m’a déjà tellement aidé, je veux bien le prêter un peu ;-). Et puis il me reste Ahmed et Seb ce n’est pas rien ! Carmen et lui me dépassent et me mettent cinquante mètres d’un coup. J’ai beau essayer, je n’arrive pas à les accrocher mais je parviens à maintenir l’écart. Au 41ème kilomètre, Olivier, un pote de l’USMM, me donne les derniers encouragements. Plus que quelques minutes et ce sera la délivrance. Le dernier rond point passe et la ligne d’arrivée apparait au loin, à 200 mètres environ. Le chrono, au loin indique 2h35’20. Les moins de 2h36 semblent atteignables, tant bien que mal j’essaie d’accélérer et … c’est raté ce sera 2h36 tout rond ! Momo m’a devancé de quelques secondes avec Carmen qui signe là une superbe performance, pour lui c’est son plus mauvais chrono sur le marathon de Paris.
C’est mon cinquième marathon mais pourtant l’émotion qui me submerge au moment où la ligne d’arrivée est franchie reste extraordinaire. Boucler les 42km c’est avant tout une victoire sur soi-même. Je tombe dans les bras de Momo sans qui je n’aurais jamais réalisé cette performance aujourd’hui. Je retrouve Nath et Geoffrey qui viennent d’arriver. JC nous suit de près. Tous sont allés jusqu’au bout et on réalisé de superbes chronos ! C’est un grand moment de fraternité sportive (qui a dit que le coureur était un individualiste ?). Vincianne (qui d’ailleurs excelle également en course à pied) est là aussi pour nous accueillir et nous féliciter. J’espère que nous aurons contribué au travers de cette course à mettre en visibilité l’action de son association. Emmitouflés dans de superbes panchos bleus nous récupérons ravitaillement et breloques avant de prendre le chemin du retour. Je marche comme un canard jusqu’au bus, les crampes ne sont pas loin.
Dans le bus élite, où nous attendent nos affaires, les visages expriment des sentiments variés : certains paraissent las et déçus, d’autres, comme Carmen, sont au contraire sont radieux (et il y a de quoi). Le temps d’une petite séance photo improvisée avec Benjamin Malaty (premier français aujourd’hui) puis avec Stéphane Diagana et il est temps de regagner le métro pour aller vers un repos bien mérité. Assis tranquillement dans la rame qui nous ramène, au moment où nous traversons la Seine sur le pont de Bir-Hakeim, j’ai une pensée pour ceux qui sont encore sur le bitume, juste en dessous de nous, et à qui il reste encore plus de 10km à parcourir. La souffrance qui s’annonce promet d’être terrible pour certains mais sans commune mesure avec le bonheur qui els attend à l’arrivée.
Comme vous l’aurez sans doute compris, cette course restera surement comme l’un de mes meilleurs souvenirs de course à pied. J’ai l’impression d’y avoir retrouvé, personnellement, ou au travers de nombreux regards, beaucoup de valeurs auxquelles je crois : la solidarité, la fraternité, le courage ou encore le dépassement de soi.
Je remercie une dernière fois Momo pour son aide et ses conseils durant toute la course. Je lui suis redevable de quelque chose d’énorme. D’ailleurs, avant de nous séparer à la sortie du métro je lui dit : « J’espère pouvoir un jour te rendre la pareille ! » et il me répond : « Quand j’aurai 60 ans tu m’accompagneras à ton tour ! ». Non seulement je suis à peu près sur qu’à cet âge il aura encore ces jambes de jeune coureur mais je suis tout aussi persuadé qu’il continuera à voler comme aujourd’hui et qu’il sera encore devant moi ! Eternel je vous dis ! Un grand merci à tous pour les encouragements, un grand merci aux accompagnateurs. Merci à Cosi et Olivier pour les conseils et les plans d’entrainement et bravo à tous les coureurs de l’USMM, venus en nombre ce matin, pour leurs belles performances.
Benoit