Guillaume VIMENEY revient sur sa Transmartinique!

 TRANSMARTINIQUE (972) – 133 KMS – 7 décembre 2013

Par Guillaume VIMENEY

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Préambule

J’ouvre les yeux dans une bananeraie.
A son zénith, le soleil brûle et m’éblouit. Qu’est-ce que je fais là ? J’aperçois alors deux personnes s’approchant, dont un visage qui m’est familier… Je distingue bien Marc Raquil, champion d’Europe 2006 et vice-champion du monde 2003 du 400 mètres. Je le reconnais parfaitement. Il m’encourage et m’exhorte à me relever.  Est-ce bien réel ? Progressivement, je retrouve mes esprits. Je suis sur la Trans Martinique. Il me reste encore 70 kms à parcourir. J’ai mal partout. Dos broyé, genoux enflés, motivation en berne, je me sens vidé. J’ignore combien de temps je suis resté inconscient. Au prix d’un effort considérable, je parviens tant bien que mal à me hisser sur les jambes. Sur les premiers pas, je me tords de douleur. Le dos me fait terriblement souffrir et plier les genoux constitue un véritable supplice. Je me mets à marcher lentement, le regard hagard et la mine déconfite.

SAM_5765Je n’ai pas le droit de renoncer. Cependant, lancinantes, les douleurs ne me laissent aucun répit. Je dois m’arrêter. C’est insupportable. J’ai beau chercher, je ne trouve pas de solutions pour me défaire de ces afflictions. Comment poursuivre l’aventure dans ces conditions ? Concevoir de parcourir 70 kms accompagnés de ces douleurs s’avère impossible.

Il faut fractionner le chemin qu’il reste à accomplir, n’en visualiser qu’une portion, aussi infime soit-elle. Néanmoins, même quelques kilomètres me paraissent insurmontables. Je dois seulement attirer mon attention sur des objectifs à très courts termes. A une cinquante de mètres, il y a un croisement. L’objectif, c’est d’y arriver sans s’arrêter. C’est parti ! Je serre les dents, c’est dur… c’est bon, j’y suis. Mains sur les hanches, je reprends mon souffle et m’accorde un petit répit. Prochain objectif, dépasser le poteau électrique au bout du sentier. C’est parti… Ca va être long !! Quelques minutes plus tard, un bénévole devinant mon calvaire m’invite à abandonner sur le champ. D’après lui, je ne pourrai franchir le Vauclin dans cet état. Il faut être raisonnable et se résigner me fait-il comprendre. Je décide toutefois de persister. Il faut avancer. Mon cerveau refuse pourtant obstinément de poursuivre le chemin de croix. Epuisé, j’éclate en sanglots. Je ne contrôle plus rien, ni mes jambes, ni mon dos, ni même mes pensées. Je m’allonge sur la route. Je suis à bout de nerf, à court de solution. Aussi bien sur le plan physique, que psychique, je n’ai plus de ressource. Comment en suis-je arrivé là ? Pourquoi les forces m’ont-elles abandonné à ce point ?



en direct live à partir de 1’45

 

Quelques 9 heures auparavant,

1471904_671936786160707_900939192_nla course a pris son envol sous des trombes d’eau à Grand-Rivière, à l’extrême Nord de l’île de la Martinique. Le parcours de la Trans Martinique débute par l’ascension de la mythique Montagne Pelée.  Dans cette section, je me trouve à mon aise à l’arrière du groupe de tête composé de 8 coureurs. Les éclairs et les pluies diluviennes nous accompagneront durant cette escapade. Une véritable tempête tropicale s’abat sur notre terrain de jeu, devenu pour le coup un terrain dangereux. Les descentes deviennent glissantes et les chemins sinueux. Les premières chutes ne tardent pas à arriver. Par deux fois, je tombe sur le dos, mais me relève instantanément. Au cours de la première difficulté, je perds un peu de temps, que je rattrape sur une portion roulante. La montagne Pelée franchie, je rentre plein d’espoir et d’entrain dans la forêt tropicale en 5e position. A ce moment-là, tout va bien. Gorgés d’eau, les sentiers s’avèrent ardus à arpenter. Les portions plates, normalement roulantes, sont devenues trop boueuses pour espérer relancer l’allure. Je me résous à randonner à bonne vitesse dans cette section. Les descentes se font la plupart du temps sur les fesses. Avec l’épaisse couche de boue, les appuis fuient, rendant périlleuse notre marche en avant. A de multiples reprises, je me vois perdre l’équilibre et retomber sur une racine. Je digère les coups et me relève aussitôt sans sourciller.

SAM_5780La marche n’étant guère ma spécialité, je vois revenir à mon niveau Lionel Trivel, puis Christophe Le Saux. Je ne pourrai demeurer dans leur sillage dans cet exercice particulier, pour lequel je n’ai pas le moindre entraînement. Quand le bout du tunnel paraît, les bleus apparaissent également. Hanches, genoux, tibias, pieds, les membres inférieurs n’auront pas été épargnés par cette traversée tortueuse. A ce moment, je suis rassuré par le fait que le plus dur est « déjà » derrière. Parvenu à la base de vie de St-Joseph (Km 50), après 7h30 de course, je n’ai couru que de manière très épisodique, le parcours détrempée ne permettant pas d’étendre sa foulée. Cette première partie a laissé des traces sur les jambes et dans la tête. Si je ne me suis pas découvert au niveau physique, en revanche, j’ai puisé dans mes ressources psychiques pour surmonter les nombreux obstacles disséminés dans ce milieu tropical bien hostile. 

A présent, je repars sur un tracé plus roulant avec Christophe Le Saux. Malgré que nous avancions à un bon rythme, je sens quelque chose d’inhabituel. Percevant des douleurs diverses contrariant ma foulée, je remarque également que j’ai les pires difficultés à sourire et à positiver. Atteint moralement par un début d’épreuve harassant, j’éprouve du mal à aller de l’avant, à me projeter dans la suite de la course. En bas du Morne Bel-Air, c’est le trou noir. N’ayant pu suivre le rythme de Christophe, je me retrouve esseulé et à bout de force avant d’affronter l’avant-dernier col de la journée. Motivation défaillante, moral en berne, lucidité vacillante, puis conscience chancelante, je me retrouve au point mort (65e km), au bord de l’abandon. Je ne devine pas les stratégies mentales pouvant m‘extirper de ce bourbier psychique. Certainement, meurtri par les chutes, mon cerveau refuse obstinément de persévérer dans l’aventure.

SAM_6079Je vais mettre plus de 3 heures à passer du ravitaillement du Lamentin (km 65) au pied du Morne Bel-Air (Km 67). Je ne vois que le repos pour me rafraichir les idées et me ressourcer. Je n’ai d’autre alternative que de patienter, en espérant reprendre des forces psychologiques durant ce temps faible. A la tombée de la nuit, je ne me sens toujours pas revigoré. Je vois alors surgir mon ami Roger Voisin, qui s’apprête à s’élancer dans l’ascension du col. Sans envie, je me convaincs qu’il s’agit du déclic que j’attendais. J’essaie de le suivre dans la montée. Si la pente est vraiment raide, je peux m’aider de cordes pour me hisser vers le sommet. Dans la descente, nous trottinons en direction du prochain ravitaillement. Je serre les dents, mais progressivement, je reprends confiance. Je peux le faire ! D’ailleurs, je ressens moins de douleurs en courant. Comme quoi, le proverbe créole Bannan jon pa ka vini vêt

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Désormais, nous prenons la direction de la côte Est, ses plages, ses récifs rocailleux et sa mythique savane des pétrifications.(banane jaune ne devient pas verte) ne prévaut pas toujours. Jusqu’à la fin, je vais par contre souffrir des hanches, notamment durant les phases de randonnée. La nuit vient de tomber, et pour ma part, je revois un peu la lumière. L’abandon qui semblait inéluctable, il y a encore quelques minutes, a laissé place à un bel espoir, l’espoir d’arriver main dans la main avec Roger. Coureur martiniquais vivant en région parisienne, Roger m’a très chaleureusement accueilli sur son île. En sa compagnie, j’ai réalisé quelques reconnaissances et surtout passé de bons moments de complicité avant le départ.

601198_669559783066354_232676743_nA cet instant, 60 kms nous séparent de la délivrance. Il nous faudra guerroyer jusqu’à 3 heures du matin, soit 24h de course, pour rallier Saint-Anne et l’arche d’arrivée. Au cours de ces 10 heures d’intenses efforts vécus ensemble, il y aura des temps faibles, des temps forts, mais surtout de l’entraide. Finalement, nous clôturons cette magnifique course à la 13e position, place inespérée à la mi-course. Jamais, je ne suis sorti autant cassé d’une compétition. Deux jours durant, je ne pourrai me lever, ni marcher seul. Je ne compte pas les hématomes et les contusions répartis sur tout le corps. Loin de l’objectif initial, cette place de finisher et cette 13e position, me comblent néanmoins de joies, au vu des conditions de course. Je repars des Caraïbes avec le sentiment d’avoir mûri, d’avoir retiré nombre d’enseignements de cette aventure et d’en revenir plus fort. Une chose est certaine, la Trans Martinique aura d’ores et déjà façonné ma saison 2014. Désormais, je vais prendre quelques distances avec les parcours montagneux et techniques, sur lesquels je ne parviens pas à m’adapter. L’an prochain, mes objectifs majeurs se joueront sur des terrains roulants, lieux où j’arrive le mieux à m’exprimer pour le moment. L’aventure continue…



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Guillaume