Trail du JOSAS, 50 kils, par Guillaume VIMENEY
Team Outdoor Paris – SALOMON
Dimanche 7 avril 2013, Jouy en Josas, 50 kils
Pourquoi se perd-on ?
Me perdre sur le parcours constitue véritablement l’angoisse qui m’assaille avant chaque course. Comme beaucoup de trailers, dans le passé, à maintes reprises, j’ai eu l’occasion de m’égarer (Oman Raid, Trans Aq’, Bretagne Ultra-Trail, Ice Trail, Trail de l’Etoile Filante, Trail du sud-gironde, SaintéLyon, Origole…).
Durant notre préparation, nous sommes nombreux à vouloir contrôler les moindres détails. Nous sommes vigilants sur notre alimentation, notre temps de sommeil, bien entendu notre préparation physique. Durant celle-ci, on s’efforce de réaliser nos séances de fractionné et nos sorties longues jusqu’au bout, quitte à serrer très fort les dents. Au niveau de notre équipement, nous essayons d’être le plus léger possible. Chez les plus perfectionnistes, cela va jusqu’à découper chaque étiquette, chaque élément superflu de nos affaires. Cette méticulosité a-t-elle vraiment sens ? Oui et non. Effectivement, couper les lanières de son sac pour gagner quelques grammes n’aura aucun impact sur votre performance. Pour autant, se montrer aussi précis et rigoureux sur un ensemble de détails, de la diététique à l’entraînement, en passant par l’équipement, vous fera très certainement gagner de précieuses minutes, voire bien davantage encore.
Toutefois, cet esprit perfectionniste semble parfois connaître de sérieuses limites. Après avoir porté une attention aux moindres détails, nous avons la sensation de contrôler le moindre facteur de notre performance. Cependant, il faut avoir conscience qu’il y a toujours des éléments qui nous échappent. C’est le cas lorsqu’une partie du parcours a été victime d’un débalisage sauvage ou que nous sommes mal orientés. Comment réagit-on quand on se perd bêtement, alors que nous avions mis toutes les chances de notre côté ? Se perdre est un incident imprévisible, dont malheureusement, on ne peut se prémunir. En course, on le vit forcément comme une injustice, d’autant plus quand nous visons une performance et que notre déroute profite à nos concurrents. Se perdre est aussi l’occasion de réaliser un travail sur soi-même. C’est l’option que je vais tenter de défendre dans ce succinct compte-rendu de course.
Ce dimanche 7 avril, nous sommes une centaine de coureurs à nous élancer, au cœur de la vallée de la Bièvre, pour un 50km avec un dénivelé positif de 1000m. Les températures sont encore fraîches, mais le ciel est bien dégagé, le temps idéal pour s’adonner à la joie de la course à pied. A 8h, le départ est donné. Je me positionne en tête. A une centaine de mètres, quatre coureurs me suivent. Nous filons à bon train et commençons à arpenter quelques séries d’escaliers, des descentes techniques et des buttes délicates à gérer. Je me sens bien, très relâché, imperturbable… ou presque.
Après 40 minutes, nous arrivons à un croisement, où deux personnes nous indiquent de prendre à gauche. Les saluer et les remercier est la moindre des choses. Ce sont des bénévoles qui prennent du temps pour nous, en restant longtemps immobile dans le froid. En l’occurrence, les bénévoles en question discutent et ne prêtent que peu d’attention à notre passage. Nous arpentons alors une longue route. Nous ne voyons plus de balisage, mais nous ne pouvons faire fausse route, du fait qu’il n’y a aucun autre chemin que nous aurions pu prendre depuis le croisement. Nous continuons donc notre chemin.
Après quelques minutes, je n’aperçois toujours aucune balise. Bizarre… je me retourne alors, et suis rassuré d’apercevoir quatre coureurs à une trentaine de secondes derrière moi. Un peu plus tard, je parviens à un carrefour, où il ne se trouve aucune indication. J’arrête de courir et reviens vers mes compagnons. On discute, pour tenter de comprendre où nous avons pu faire erreur. J’insiste pour que nous persistions dans cette direction, en prétextant que les bénévoles n’ont pu se tromper. Ce serait absurde de faire demi-tour ! Pourtant, un fait attire notre attention. On se regarde depuis quelques instants, et il n’arrive pas d’autres coureurs derrière nous. Je suis très interloqué.
On prend la décision de rebrousser chemin et de revenir vers les bénévoles, qui doivent se trouver à un kilomètre et demi en amont. Bien évidemment, les minutes défilent et nos objectifs filent… Qu’est-ce qu’il se passe dans nos esprits ? De la résignation pour certains, de la colère pour d’autres, en tout cas, rien de très positif. Arrivé au croisement, on découvre que nous n’aurions pas dû prendre à gauche. Il y a du balisage dans la ligne droite quelques mètres derrière les bénévoles.
Les deux personnes qui nous ont mal orientés, ne nous prêtent toujours pas plus d’attention que cela. Sans ces personnes, nous aurions pris la bonne direction. En outre, nous avons croisé des tas de vélos quand nous avons arpenté le mauvais chemin. Il suffisait à ces bénévoles, une fois qu’ils aient pris conscience de leur erreur, de dire à un cycliste de nous alerter… Quelques mots nous échappent en passant. On se regarde à nouveau. On vient de prendre un gros coup au moral. Plus que de se perdre, on a dû mal à accepter le fait d’avoir été traités avec une telle nonchalance… C’est difficile de voir une belle préparation saccagée en si peu de temps. Un sentiment d’injustice et quelques états d’âmes nous ébranlent.
Peu après, on nous informe que la tête de la course se trouve à 10 minutes. On se situe autour de la quarantième place. J’essaie de faire abstraction de l’incident, pour me concentrer sur mes sensations et la course en elle-même. Il va falloir fournir un gros effort pour rattraper ce retard. Néanmoins, il doit rester près de 45 kilomètres. C’est plus qu’il n’est suffisant. Je ne suis pas inquiet, mais quand même très affecté. J’ai des difficultés à sourire, à positiver, comme à mon habitude. Je sais que je dois conserver mon calme et revenir progressivement. Dans cette situation, on a souvent tendance à vouloir remonter le plus vite possible, au prix d’un effort extrêmement traumatisant.
Deux heures, c’est le temps que je vais mettre à reprendre la tête de la course. Durant la remontée, je vais prendre du plaisir du courir, à discuter avec les coureurs que je rattrape, à les encourager. En revanche, une fois que je me retrouve seul devant, la lassitude me gagne. J’ai de bonnes jambes, je sais que cette fois, la victoire ne m’échappera pas, mais ce sont des pensées négatives qui m’assaillent. J’ai puisé dans mes ressources psychiques, afin de conserver mon sang-froid. A présent, je me sens déçu, amer et nerveux, pas dans mon état habituel. Je finis la course en « sortie longue », sans me faire mal, à une allure confortable.
Le réconfort viendra de ma chérie qui m’attend sur la ligne d’arrivée, quelque peu inquiète de ne pas me voir arriver avant les quatre heures de course. Avec les super résultats de mes amis du TOP, le sourire reviendra rapidement.
Je tire d’importants enseignements de cette journée. J’ai encore beaucoup à apprendre sur moi-même. Ma gestion des émotions paraît très perfectible par moment. Si j’ai parfaitement su conduire ma course après l’incident, cela n’est pas vrai de mes pensées durant l’effort. En tout temps, il faut rester maître de soi-même, se défaire de tout ressentiment, ne pas être affecté par les éléments extérieurs, relativiser ce que nous pouvons d’emblée juger comme une injustice, s’isoler dans une sorte de citadelle intérieure. Une faute d’arbitrage au football ou une chute collective en cyclisme forment de pareilles injustices. En quelques instants, ces faits de jeu annihilent toute une somme de labeur et de sueur.
L’injustice est inhérente à tout sport, à la vie elle-même. Le sport est justement une métaphore de la vie, en tant qu’il nous apprend à développer des qualités qui nous serviront en dehors. Le sport est tout sauf une fin en soi. Le sport m’a appris qu’il ne sert à rien de s’appesantir sur son sort, de se plaindre, de se morfondre sur sa situation. Le sport sert, entre autres, à développer sa capacité à se relever après un échec ou un incident. Un fait de jeu malheureux ne supprime en rien notre travail, il nous invite seulement à réaliser un retour sur soi pour surpasser la déception.
Avec le recul, je prends conscience que ce que j’aime dans le Trail, c’est tout sauf gagner des courses. Ce que j’affectionne par-dessus tout, c’est l’entraînement. Il donne du sens à mes journées, m’apporte une hygiène de vie saine, suscite de belles rencontres, me permet de réaliser un travail sur moi-même, de développer mes qualités humaines. La compétition du dimanche cristallise et révèle ce sens. La course elle-même est partie prenante de l’entraînement. J’essaierai désormais de ne plus l’oublier, de relativiser les incidents de course, de prendre toutes les difficultés que recèlent un Trail avec le sourire.
Peu importe le résultat, que l’on finisse premier ou dernier, ce qui compte, c’est ce que nous avons appris sur nous-mêmes en arpentant le chemin. On se construit au travers des difficultés de la vie. Le sport nous apprend à maîtriser nos états d’âmes, à faire face aux obstacles et aux aléas de nos existences, à se relever après chaque échec. Quand une course s’accomplit sans accroc, on n’en tire pas réellement de bénéfices. Se perdre est nécessaire pour se retrouver soi-même. Le Trail ne constitue pas, chez moi, une passion, en tant qu’il forme seulement un moyen pour avancer dans la vie. L’adversité me permet de me confronter à moi-même. Cet exercice m’est tellement profitable dans la vie de tous les jours.
Aujourd’hui, je peux le dire avec le sourire : je suis content de m’être tant de fois égaré, heureux d’avoir abandonné à de nombreuses reprises, chanceux d’avoir chuté sans trop de gravité sur des tas de sentiers. Surtout, je suis enchanté de savoir que tout cela est une force, que je me suis toujours relevé chaque fois après avoir trébuché. Affronter tant d’épreuves et d’infortunes me donne encore plus envie de me lancer à l’abordage vers de nouvelles aventures. On peut tirer un enseignement de chacune de nos expériences. Le Trail nous livre tout un panel d’émotions, qu’il nous faut maîtriser pour continuer à avancer. J’ai encore envie et besoin d’évoluer. Plus que jamais, je mesure la chance que j’ai d’arborer un dossard chaque week-end et je suis conscient d’une part de la possibilité, mais surtout de la nécessité de s’égarer sur le chemin. Se perdre nous permet de redécouvrir le sens véritable de notre activité et de nous questionner sur la direction à donner à notre propre histoire.
Guillaume