L’histoire d’un « PW record » au marathon de Copenhague… avec beaucoup d’humour par Caroline CHEVALIER



Marathon de Copenhague (Danemark), dimanche 22 mai 2016
par Caroline CHEVALIER, Invitée Team Outdoor Poli 2016

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Trois petites semaines après le marathon-fiasco de Copenhague, il est temps d’en écrire un compte-rendu pour exorciser, et pouvoir sereinement passer à la suite.

1. Le contexte

CC8J’ai commencé les marathons en 2011, avec le marathon de Paris, sur lequel je me suis alignée avec une prépa minimaliste. J’avais vraiment bien couru jusqu’en février 2011, mais au lendemain d’un record sur les Foulées de Vincennes, une stupide entorse lors d’une séance de squash de récup’ (recommandée par tous les entraîneurs FFA) avait eu raison de ma préparation. C’est avec trois-quatre semaines de prépa que j’avais terminé mon premier marathon en 4h11, un temps plutôt réglo compte tenu des circonstances.

J’avais remis ça en 2012, l’année des records, où un mental de ouf et un physique de crevette m’avaient amenée à un joli chrono de 3h45 ; en 2013, où les restes du sus-cité physique m’avaient permis de rester sous les 4h (3h58, grosse déception, mais déjà je sentais que le mental commençait à s’effriter, et les fesses à s’alourdir) ; et en 2014, où la tête a définitivement lâché et m’a fait en terminer en 4h00. A ce moment-là, j’ai décidé de commencer à accepter que l’exercice du marathon me faisait un peu chier, d’autant que j’étais en train de me lancer à corps perdu dans le trail longue distance. On ne peut pas tout faire, j’ai donc décidé d’arrêter un petit moment la route, et je me suis lancée sur des trails de 80 à 110 km, avec une nette préférence pour les parcours montagneux.

Et puis en avril 2015, je me suis retrouvée à accompagner une copine sur les derniers km du marathon de Paris, et l’envie est alors revenue me titiller : allez, pourquoi pas, une nouvelle tentative ? L’ambiance de fin de course, l’émotion des finishers, et hop, me voilà inscrite sur le marathon de Copenhague pour mai 2016.

2. L’objectif

CC7Compte tenu des déconvenues des éditions 2013 et 2014, le but était cette fois de terminer dans des bonnes conditions, sans gros craquage, sans perdre 20 min sur les 15 derniers kms… En n’étant pas trop gourmande sur le chrono, car j’ai quand même pas mal perdu en vitesse depuis quelques années à faire de la montagne plutôt que des 10 bornes, y avait pas de raison que ça ne passe pas. Je suis donc partie donc sur un temps de 3h50-3h55, soit environ 5’30 au kilo, rien d’ingérable a priori ; mais je préférais avoir un objectif prudent pour éviter d’exploser en seconde partie de course.

La prépa s’est très bien déroulée, aucune difficulté pour tenir l’allure marathon sur de belles sorties longues, le fractionné court est passé facile, les séances de long et de seuil également : y avait plus qu’à faire en sorte que la tête suive, mais la satisfaction d’une prépa bien gérée m’a mise dans une dynamique assez positive.

3. La course

CC5Le jour J, après une nuit plutôt tranquille, je me sentais plutôt solide sur la ligne de départ. Une légère crainte au niveau de la météo, car les prévisions annonçaient des températures assez élevées et je supporte mal la chaleur ; mais pas de stress particulier.

Le départ est donné, et je commence tranquille, en veillant à bien rester en dedans. Compte tenu de l’objectif raisonnable fixé, l’allure marathon est quand même assez cool, il faut donc rester bien concentrée pour ne pas partir trop vite. Les premiers kms passent bien, entre 5’20 et 5’30 en moyenne : un tout petit peu rapide, mais rien de tragique. Il commence par contre  à faire très rapidement chaud, et je prends le temps de bien m’hydrater à chaque ravito (il y en a tous les 4 kms). Je marche systématiquement quelques secondes pour bien boire, ce qui fait que je passe le 10e km en 54’46, nickel par rapport au plan de route.

Jusqu’au 15e km, le parcours est très agréable, à travers le centre-ville, un grand parc très chouette où les familles font un barbecue en jouant avec les enfants… Je tiens l’allure sans problème, et les kilomètres défilent. A partir du 17e, on commence à filer sur de longues lignes droites à travers des quartiers un peu plus déserts : rien de bien grave, mais l’ambiance est moins sympa, et les faux plats le long des voies ferrées sous le soleil qui maintenant tape fort se font un peu sentir. Je prends un tout petit peu de retard sur le demi-tour en tête d’épingle au 20e et je passe le semi en 1h56’30. Bon, je suis toujours dans les temps fixés, mais si je commence à accuser le coup maintenant, c’est mauvais signe…

C’est évidemment le genre de pensées qu’il ne faut jamais se mettre dans la tête, mais c’est également ma spécialité sur marathon. Histoire d’enfoncer le clou, je chope une poussière sous la lentille, qui mettra deux kilomètres à partir, nécessitant deux arrêts sur le bord de la route pour la déloger. Entre les kilomètres 23 et 25, j’ai un petit coup de mou, mais j’arrive à me relancer correctement au 25e. Le passage à proximité du Kastellet me rappelle une jolie partie d’un roman de John Irving, je fais mentalement coucou à la Petite Sirène devant laquelle nous ne passons pas, et je poursuis mon chemin. Jusqu’au 28e km, je maintiens l’allure, mais je sens que la chaleur va vite devenir insupportable.

CC3A ce stade, nous sommes sur de grandes et larges avenues, sans un poil d’ombre. Dès que quelques arbres bordent la route, le peloton va se réfugier dessous afin de profiter un peu du couvert. Aux ravitos, je bois de plus en plus d’eau, et il me faut de plus en plus de temps pour reprendre l’allure. C’est mauvais signe, car je n’arrive plus à me contenter de petites gorgées pour me réhydrater : je descends les verres à la chaîne. Aïe. J’ai pourtant bu régulièrement depuis le début de la course. J’apprendrai plus tard qu’il faisait 28°C à 11h.

Je décide de prendre un gel coup de fouet, histoire de me donner un petit coup de jus. Il s’agit d’un gel Eafit « Finisher », que j’ai souvent expérimenté sur mes sorties longues en préparation. Le gel a un goût citron qui, s’il m’a paru bien lointain à chaque expérience, reste malgré tout identifiable. J’avale une lampée de gel… et j’identifie une saveur pain d’épices ! Plaît-il ?!? Après vérification, il s’agit pourtant bien des gels citron : si mes papilles commencent à me raconter des conneries, c’est mal barré.

A partir de ce moment-là, mon bide commence lui aussi à me faire part de son indignation (je me mets à sa place). Je décide alors de me concentrer sur toutes les raisons que j’ai de m’accrocher, de me rentrer dedans pour tenir l’allure… Pleine de bonnes intentions la meuf, sauf que c’est un bide total, je suis incapable d’identifier une seule raison valable ! Tout ce que je vois, c’est que j’ai atrocement chaud, envie de vomir, que j’en ai plein les pattes, et qu’il me reste encore une douzaine de bornes à tirer. L’angoisse. Je passe le 30e km en 2h50’00 (j’aime la précision), mais à ce stade, ça n’a déjà plus aucune importance.

CC6Après une alternance marche-course, au 32e km, je décide que la course est terminée. Je tourne ma montre vers l’intérieur de mon poignet pour arrêter de la mater, je lâche prise quant au chrono à l’arrivée, ça sera une cata mais on s’en fout, et je me dis qu’il me reste 10 bornes, et que 10 bornes en footing, c’est pas la mort. A partir de là, les choses deviennent de suite plus simples. Je lève la tête, je regarde autour de moi, je profite des encouragements, bref, je commence presque à me faire à nouveau plaisir. Bon, mon bide continue de me tuer, je bois des litres d’eau à chaque ravito qui me tombent instantanément sur l’estomac (je sais pertinemment que je suis déshydratée et que l’eau ne sert plus à rien, mais j’ai tellement soif que je continue à boire) ; je dois du coup marcher une trentaine de secondes à chaque kilomètre pour empêcher le contenu de mon estomac de ressortir. Mais une fois la pression du chrono levée, et l’échec accepté, c’est tout de même beaucoup plus simple.

Vers le 36e km, je vois un gamin assis sur le bord de la route (je dis gamin parce que s’il avait 18 ans, c’était vraiment le max), qui fixe sa main gauche d’où coule un flot ininterrompu de sang : le type est hagard, il est visiblement tombé sur un truc très, très tranchant, et n’essaye même pas d’empêcher le sang de couler ; il a déjà une jolie petite mare à ses pieds. Au point où j’en suis, je m’arrête pour lui demander s’il compte se laisser mourir par vidage total de sang (« bleed to death », c’est quand même vachement plus concis comme formule) ; il me regarde sans répondre, avec un air de fraîcheur douteuse… Ok, je m’occupe de toi, gars. Mon anglais est peut-être pâteux, mais t’as pas l’air frais. Je lui sors un morceau de mouchoir, je comprime, et je lui dis que je l’emmène jusqu’au ravito suivant (à 200 m) où il y aura forcément des secours. Le gars se lève et se met à courir ! Ohla, tu te calmes, et tu m’attends. On clopine jusqu’au ravito, je le dépose aux secours, et je repars.

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Je me traîne mais j’avance, les kilomètres sont affreusement longs mais les scènes d’apocalypse autour de moi me rappellent que si j’arrive encore à courir, c’est que mon état n’est pas si grave… Bon, je m’enquille quand même des kilos à 7’30, à devoir marcher de temps en temps pour ne pas vomir ; mais les danois gentiment francophiles me font chaud au cœur à m’encourager par mon petit nom, et le passage du panneau du 40e me fait dire que le calvaire est bientôt fini.

J’arrive à courir à peu près proprement sur les deux derniers km, et à planter une « accélération » (« lol ») sur les 200 derniers mètres, qui me vaut une photo finish bien trompeuse par rapport à mon état réel. C’est décidé, je dirai à mes futurs enfants que celui-là, je l’ai fini en 3h30 : avec une photo comme celle-là, ils n’y verront que du feu. La réalité, c’est un chrono de 4h17’29, soit de très, très loin, mon pire marathon. Dommage, car le parcours est plat comme un pancake, et si on repasse deux fois à certains endroits, l’ensemble est tout de même assez agréable.

4. Le bilan

Crédit photo : Loïc MICHEL

La satisfaction, c’est que je bats un record. On parle souvent du PB, le « personal best » sur une distance : moi, le 22 mai, j’ai réalisé mon PW, mon « personal worst », et en soit, c’est une performance. La vraie satisfaction, en réalité, ce sont les larmes de joie de ma femme qui termine son premier marathon en 4h42, et dans des conditions bien moins lamentables que moi. Ça fait plaisir qu’au moins une de nous deux soit contente !

L’enseignement, c’est que je n’ai plus le mental pour ce genre de choses. Il est temps d’accepter qu’on ne peut pas tout faire. Visiblement, mon truc, ces temps-ci, c’est de courir longtemps, très longtemps même, mais pas à une allure métronomique. Maintenir le rythme, ça me fait suer, et je n’y trouve aucun intérêt. Il est donc temps d’arrêter de se prendre des claques à répétition. Tchao le marathon (dommage, car j’adore les préparer…), rendez-vous dans 10 ans ! Ou peut-être pas.


Caroline